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Clémentine Degardin

Avant de rencontrer Clémentine, j’ai rencontré son compagnon, Kévin Nicolini, réalisateur et photographe, que j’avais contacté en début de cette année. On a fini par aller boire un pot, et on est devenu de bons amis. J’ai vu Clémentine à mon anniversaire, et je l’ai trouvé bien sympathique.

Petit saut dans le temps pour comprendre ce qu’il se passe. On est en mars 2023, et j’étais tellement malade que je me déplaçais avec une canne. Je venais de finir une session plateau et une exposition au Baston, et… je ne faisais plus rien. J’étais chez moi, à avoir mal, et à me trainer. Ça faisait des années que j’avais des soucis de santé, mais là c’était le pompon.

En mai, le verdict est tombé: Fibromyalgie. Ah. Aïe. 

Maladie complexe, pas étudiée en médecine, pas forcément prise au sérieux non plus, qui peut affecter des gens de manière plus ou moins forte, pour vulgariser le tout. Je m’attends donc à aller faire le ping-pong chez les médecins et la redoutable administration française, cependant passons. Tout ça pour vous dire que je n’ai pas fait de photo pendant un long, très long moment. Si vous voulez un aperçu de la maladie, allez jeter un oeil au documentaire «Gaga: 5 foot 2 » sur Netflix.

En mi-juin, je demandais à Clémentine si je pouvais faire une session photos portraits avec elle, histoire de voir comment je peux m’adapter à mon handicap, et elle m’a répondu oui, de manière enjouée. Un mois passe, je vivais comme je peux, en fonction de mon corps surtout, mais je continuais à voir de temps en temps quelques amis. Puis, en juillet, Kévin me proposait de jouer sur son film, donc de passer de l’autre côté de la caméra, et j’ai dit oui. J’ai pris quelques photos, et ça vaudra la peine de faire un article, alors revenons à Clémentine.

Portait de femme, Clémentine Degardin, de profil, avec un drapé. Photo en noir et blanc.

J’avais demandé à Kévin de me tirer le portrait en mai (ce sont d’ailleurs les photos que vous voyez dans la section « À propos », j’étais chez lui, et un détail a attiré mon attention; il y avait beaucoup de choses sur Marilyn Monroe. « Ah oui, c’est Clémentine qui est obsédée par cette actrice », m’avait-il répondu. C’est en regardant Clémentine jouer qu’une idée m’est venue à l’esprit; et si on faisait un shooting sur l’univers de Monroe? Je lui ai proposé, elle a dit oui tout de suite. Clémentine a de longs cheveux roux, et le yeux chocolats, certes, mais j’allais pas l’affubler d’une perruque blonde, de lentilles et lui mettre une mouche. Je voulais que ce soit inspiré de Monroe, pas du copié-collé. Et Monroe n’était pas blonde, à la base. 

C’est même drôle, parfois Clémentine a des airs de Beth Harmon ou de Lady Gaga!

Le tournage fini, je m’étais mise au travail pour faire une moodboard; je ne savais pas vraiment qui était Monroe, cependant je savais que sa vie n’avait pas été rose… Alors j’envoyais un petit mail avec quelques questions à ma modèle, et un tout petit PDF de 3 pages. Le soir est arrivé, donc je suis allée me coucher. Un truc ne tournait pas rond, j’avais l’impression qu’on me regardait d’un air désapprobateur. Mon côté bosseuse? Marilyn Monroe elle-même? Et puis j’ai compris: je ne savais RIEN de Monroe. 

Portait de femme, Clémentine Degardin, portant un manteau de fourrure et un collier de perles.

Le lendemain, j’ai commencé à me documenter sur sa vie, les Kennedy, la mentalité des années 50-60, Hollywood, la Guerre Froide et les méthode de chasse aux sorcières du FBI, la bienséance de ces année-là, les coiffures, les habits, le maquillage, les maladies psychiatriques avec les méthodes de soins de l’époque… Pas facile de ne pas tomber sur des informations de conspirations, je les évitais comme la peste! J’ai travaillé sans relâche pendant une bonne semaine et demi, et j’ai renvoyé un nouveau dossier à Clémentine, de 89 pages cette-fois. Je suis une grande fan d’Histoire, et la recherche me plait. J’y avais ajouté une playlist musicale, ça nous a bien aidée les deux. J’ai replongé mon nez dans mes cours sur la lumière studio, je me suis intéressée à la photographie de mode, qui demande une bonne connaissance sur ce sujet. Il faut aussi noter les parallèles qu’il y a avec des femmes aux destins tragiques: Lady Diana, Jackie Kennedy, un tantinet de la mélancolie du ballet « Giselle », Beth Harmon (série « Le jeu de dame », tirée de l’histoire vraie de Judit Polgar)… 

J’ai bien fait attention de ne regarder aucune photographie de Marilyn Monroe, par contre, pour ne pas être influencée. J’ai regardé le musée imaginaire que j’avais fait à l’école de photo (un répertoire de photographes, peintres, sculpteurs, et musiciens qu’on apprécie), et je me suis penchée sur la signification des couleurs par Michel Pastoureau, revu les oeuvres de la Renaissance (Monroe aimait beaucoup les artistes de cette ère, et j’avoue que moi aussi), regarder des conférences sur la chaine Youtube du Louvres. Niveau photographes, j’ai toujours aimé de Richard Avedon, Irving Penn, Andy Gotts, Désirée Dolron, Cecil Beaton, pour vous en citer quelques uns.

Je m’étais longuement grattée la tête pour savoir comment j’allais pouvoir mettre tout ça en place, et j’ai pensé au photographe Gregory Crewdson, qui fait des mise en scène, des tableaux géants, avec tout une équipe de tournage. Alors j’ai fait ma D.A (Direction Artistique) en prenant des élément clés et/ou qui m’ont marqué dans la vie de Monroe, que j’ai envoyée à ma modèle. C’était ma toute première D.A, j’ai dû apprendre à faire des plans, des coiffures, des différents maquillages (de loin mon point faible), allier des habits et des accessoires ensemble, pour que le tout s’accorde avec le pitch du tableau. Intéressant, mais pas facile! À ce moment-là, on dépassait facilement le PDF de 100 pages. 

J’avais fait quelques achats pour construire un studio chez moi; j’avais déjà un grand mur blanc avec de grandes fenêtres, il me manquait plus que quelques nappes/rideaux pour faire des drapés ou les intégrer dans la mise en scène, et le moyen de les fixer facilement. C’est pas un vrai studio photo, certes, mais ça me demande pas beaucoup d’efforts à installer, et c’est très modulable. Et ça fonctionne.

Portait de femme, Clémentine Degardin, portant des lunettes de soleil.

Le 7 août, Clémentine est arrivée chez moi; j’avais déjà préparé une table pour le maquillage, une autre pour la coiffure, mon canapé pour les vêtements et accessoires… On a démarré gentiment, en papotant; on regardait le tableau à faire de la D.A, elle s’habillait, je la coiffais (c’était la première fois que je coiffais quelqu’un en plus), elle se maquillait, on prenait les photos, on ajoutait des variantes, on improvisait, et hop, tableau suivant. On a travaillé de 11h30 à 19h et quelques, avec une pause au milieu de bavardages. Il y avait certains plans dans lesquels elle était habillée chaudement (manteau à fourrure, pull à manches longues, et j’en passe), alors j’ai fait attention qu’on se hâte pour ces moments-là, histoire qu’elle ne me fasse pas un coup de chaud, la pauvre… À la fin, elle m’a aidée à ranger, on a encore bavardé un peu, et elle est partie, me laissant avec un bon paquet de photos à traiter.

Là, je me suis rendue compte de mon erreur; j’aime travailler, et si le sujet m’intéresse, je me mets à fond dedans. Ce qui veut dire que pendant une demi-journée, j’ai crapahuté de gauche à droite, sans ma canne (pas facile pour prendre des photos), avec la chaleur. J’aurais dû écouter mon amie quand elle me disait de m’assoir 5 minutes. Mon corps m’a fait un sévère rappel à l’ordre le soir, je tremblais, je ne sentais plus mes jambes, mon dos et ma nuque étaient en miette, impossible d’avaler quoi que ce soit, mon estomac ne voulait rien savoir, et ma tête… Bref, j’ai fait la moribonde pendant deux jours, à rester tranquille, et le troisième je suis allée voir ma récolte photographique. J’appréhendais un peu, parce que je sortais totalement de ma zone de confort, mais le résultat m’a plu. Oui, j’aurais pu passer un coup de Photoshop sur les petites mèches rebelles, les boutons et j’en passe, mais c’est pas mon genre, et je trouvais que ça donnait un côté un peu « trash ».

Il faut juste que je fasse attention à ma carcasse, et à prendre encore plus mon temps qu’avant.

C’était la plus grosse session que j’ai jamais effectuée; mettre quelqu’un dans la peau d’une personne, faire de la recherche, de la D.A. Le travail en amont m’a plu, le shooting aussi, et je pense que j’aimerais réitérer l’expérience. Je voudrais donc ajouter la formule « Schizophrène » dans ce que je propose; on prend un personnage de l’Histoire, fictif, ou alors que le/la modèle a inventé, et on fait une histoire en forme de tableaux. Pourquoi pas. Il me reste pas mal de choses à acquérir, après tout. 

J’ai découvert la photographie de mode aussi, j’aimerais en faire mais à ma façon; une équipe réduite, un plateau simple, et pas de retouche du tout, juste présenter le modèle et le vêtement. D’après ce que j’ai pu voir (pas tout le temps), le modèle est noyé dans ce qu’il/elle porte, et c’est dommage… autant faire des scénarii comme à la Helmut Newton, Richard Averdon ou bien encore Eugene Shishkin.